Le temps de Carême qui s’ouvre mercredi 6 mars revêt cette année un poids particulier en raison de toutes les révélations de ces derniers mois concernant notre Eglise. Il ne s’agit pas simplement de prêcher désormais comme nous le faisons chaque année avec une insistance particulière une conversion morale. Nous devons entrer dans la supplique d’une guérison radicale.
Nous pourrions penser et dire que cela ne nous concerne pas ; que nous-mêmes, notre famille, notre groupe, notre paroisse ou notre diocèse sont épargnés par ces histoires sordides et que certains n’ont qu’à faire le ménage chez eux puisque nous n’avons pas le pouvoir de le faire à leur place. Mais si nous sommes dans cette logique nous ne sommes pas dans l’Eglise, nous ne sommes pas dans la Communion des Saints et nous ne vivons pas dans le Corps du Christ qui est Un. « Portez les fardeaux les uns des autres : ainsi vous accomplirez la loi du Christ. » Galates 6,2 Assumer ces péchés que nous n’avons pas commis est déjà une démarche de conversion et de purification.
Certains quittent l’Eglise, discrètement, d’autres la renient, publiquement ; certains – qui ont livré le Christ en abusant des petits et des pauvres – s’excluent eux-mêmes ou sont exclus. Tout cela ressemble fort à la Passion de notre Seigneur. Le seul innocent est livré aux mains des hommes et porte jusqu’à la mort cette condamnation. Au pied de la Croix il n’y a plus que Marie et Jean, il n’y a plus que l’Eglise et le disciple, il n’y a plus que le silence et la prière, debout. Nous sommes invités à être ce disciple qui n’a pas fui et qui reçoit sa Mère, l’Eglise. Et nous sommes tous au pied de la Croix.
Certains accusent et quittent l’institution en ne voulant garder que la pureté du message évangélique. L’histoire nous montre que cette démarche aboutit toujours à déchirer l’Eglise. Saint Ignace nous invite à réfléchir et servir « notre sainte Mère l’Église hiérarchique » Exercices Spirituels §170. Il serait tellement plus simple de s’en laver les mains, de dire que tout cela ne nous concerne plus. Une Eglise désincarnée et peuplée uniquement de saints n’existe pas si ce n’est dans nos rêves Cathares ou dans des fuites communautaristes qui deviennent sectaires et parfois les pires lieux de péchés. Nous n’avons pas à choisir le lieu du Golgotha ni la date de la passion. Nous sommes là, aujourd’hui et c’est ensemble que nous nous purifierons.
Certains accusent tous les autres pour que leur pureté présumée n’en paraisse que plus belle. Ils rappellent la parabole du pharisien et du publicain : « Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. » Luc 18, 9. Nous sommes appelés à moins nous occuper de la paille dans l’oeil de nos frères et à nous interroger sur les poutres qui nous masquent le regard. Il n’y a pas les autres et nous : il y a nous au milieu du monde, nous qui avons reçu le message de l’Evangile et devons le vivre et l’annoncer au milieu de ce monde. Un évangile audible est un évangile vécu, et l’une des premières phrases de l’évangile est « Convertissez vous ! »
J’évoque ici quelques chemins pour notre communauté au cours de ce carême et les propose à votre discernement.
Notre premier chemin peut évidemment être la prière, seul et en communauté. Nous prions parce que nous avons foi que Dieu entend nos supplications : « Tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un coeur brisé et broyé. » Psaume 50, 19. La prière est certainement le premier combat à ne pas déserter.
Notre deuxième chemin peut être la pénitence. Il appartient à chacun de discerner ses efforts de carême et de conversion mais nous pouvons aussi publiquement demander pardon, au nom de l’Eglise, auprès de ceux et celles qui nous entourent, nous questionnent et nous accusent des crimes commis. Il nous faut demander pardon sans chercher d’excuses, sans relativiser, sans suspecter de complots ou sans demander aux autres de balayer devant chez eux. Ces attitudes d’évitement sont inaudibles. Il nous faut demander pardon, clairement, et montrer que nous sommes engagés, résolument, à faire cesser ces scandales, depuis la plus petite communauté chrétienne jusqu’au sommet de l’Eglise.
Notre troisième chemin peut être de prendre le temps de nous informer. Que s’est-il passé ? Quels sont les crimes commis ? Quels sont les moyens pris pour les prévenir ? Quelles prudences mettre en place dans nos communautés pour que cela ne se reproduise pas ? Il faut savoir de quoi l’on parle pour que notre prière soit informée, notre pénitence consciente et nos décisions lucides.
Notre quatrième chemin est de partager. Nous verrons avec le Conseil Pastoral quelle action de carême mener pour ouvrir toujours plus notre communauté à l’autre, certains que servir le pauvre est l’axe évangélique premier de toute vie ecclésiale.
Notre cinquième chemin devrait être la joie. Car nous croyons à la résurrection du Christ, nous croyons qu’il est vainqueur et qu’il n’abandonne pas son Eglise. Ce ne sera pas une joie insouciante et légère mais la joie profonde de celui qui, au fond de la détresse, sait que Dieu ne l’abandonne pas. « Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. » 2 Timothée 1, 7. Sans cette joie d’espérance, nous ne serons qu’un club vieillissant et contrit, ressassant ses malheurs en attendant que ça passe. Ce n’est pas ce que Dieu attend de nous.
Je terminerai en disant que nous avons la grâce d’être ceux que le Seigneur met aujourd’hui sur la route de l’Eglise pour vivre cette purification profonde. Nous aurions peut-être préférés d’autres temps, d’autres combats, d’autres missions. C’est celle que le Seigneur nous confie. Recevons-là avec confiance et ne laissons pas le malin détruire notre espérance.
Que Dieu nous vienne en aide.
Texte trouvé sur la page Facebook publique du père Pierre Vivarès.